Economie

Interview du Pr ONDO OSSA

Le Pr Albert ONDO OSSA est Agrégé des facultés de sciences économiques de gestion, professeur titulaire en poste à l’Université Omar BONGO de Libreville. Auteur de nombreux ouvrages et articles, il est spécialiste de l’économie monétaire et financière internationale. Albert ONDO OSSA est un ancien ministre sous le magistère du Président Omar BONGO ONDIMBA. Il répond ici aux questions de votre journal mensuel en ligne mais précédemment en Tabloïd de 24 pages, « CÔTE ATLANTIQUE REVIEW ». Les conséquences économiques et sociales de la pandémie du COVID-19 a surtout, à tous égards, mis à nu l’impuissance des régimes de croissance financiarisée, d’obédience néolibérale, et révélé leur incapacité à résorber les crises sociales, sanitaires et environnementales d’envergure mondiale.

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Passer d’une économie de rente à une économie de production reposant sur une réelle volonté politique

CÔTE ATLANTIQUE REVIEW :  Pr Ondo OSSA, l’équipe de CÔTE ATLANTIQUE REVIEW vous remercie de votre accueil si fraternel et vous demande à l’entame de cette interview, de vous présenter à nos lecteurs qui ne sont pas seulement du Gabon mais aussi de la zone CEMAC-CEEAC et d’Europe où nous avons des correspondants.

Pr. Albert ONDO OSSA : Albert ONDO OSSA est Agrégé des facultés de sciences économiques de gestion, professeur titulaire en poste à l’Université Omar BONGO de Libreville. Auteur de nombreux ouvrages et articles, il est spécialiste de l’économie monétaire et financière internationale. Albert ONDO OSSA est un ancien ministre sous le magistère du Président Omar BONGO ONDIMBA, tour à tour des portefeuilles de l’éducation Nationale, de l’enseignement Supérieur et de la recherche Scientifique. Membre de la société civile, Albert ONDO OSSA est acteur politique et, de ce fait, potentiel candidat à l’élection présidentielle de 2023.

Grande fragilité (économique et sociale) des pays en développement et, particulièrement, ceux de la CEMAC

CÔTE ATLANTIQUE REVIEW : Nous avons Professeur, passé des moments très difficiles pendant deux ans de crise sanitaire due à la pandémie de la Covid-19. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les conséquences économiques et sociales de cette crise qui a durement impacté particulièrement les PME/PMI gabonaise et les autres activités économiques et sociales du pays ?  En sommes-nous sortis aujourd’hui ?.

Pr. Albert ONDO OSSA : La crise du COVID-19 a conduit à la persistance des déséquilibres de l’économie gabonaise tels que les déficits budgétaires, le chômage, une faible croissance économique et la pauvreté. Elle a entraîné l’augmentation du taux d’endettement public justifiant le recours systématique à l’intervention publique par rapport au marché. Une telle orientation, qui constitue une mutation importante dans les économies contemporaines, tient essentiellement au caractère inédit de la crise par rapport à celles de 1929 et de 2008.

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En effet, les économistes ont toujours distingué les crises d’offre de celles de demande, ce qui facilitait la mise en œuvre des politiques appropriées. La spécificité de la crise sanitaire due à la pandémie de la Covid-19 est qu’elle touche à la fois l’offre (en raison du confinement et de la rupture brutale des chaînes de valeur globalisées) et la demande (du fait de la perte de nombreux revenus, de la multiplication des défauts de paiements et des anticipations pessimistes). En cela, la crise sanitaire a surtout révélé la grande fragilité (économique et sociale) des pays en développement et, particulièrement, ceux de la CEMAC. On comprend mieux, dans de telles conditions, le leadership de la puissance publique sur le marché.

Ainsi, sur le plan économique, la crise sanitaire due à la pandémie de la Covid-19 a eu des conséquences graves aussi bien sur le secteur public que sur le secteur privé.

Forte augmentation des dettes publiques et fermeture des PME/PMI pour faillite.

S’agissant du secteur public, les dettes publiques ont fortement augmenté et pourraient pendant longtemps se maintenir à des niveaux élevés. Dans le secteur privé, plusieurs PME/PMI ont dû interrompre leurs activités pour cause de faillite. En raison de cela, elle a montré l’urgence qu’il y a à dynamiser le système économique et financier des pays membres de la CEMAC. Sur le plan social, la crise sanitaire a mis en lumière l’extrême fragilité des Gabonais et, surtout, la précarité du système de santé et de protection sociale.

La pandémie du COVID-19 a surtout, à tous égards, mis à nu l’impuissance des régimes de croissance financiarisée, d’obédience néolibérale, et révélé leur incapacité à résorber les crises sociales, sanitaires et environnementales d’envergure mondiale. Aussi est-il important d’intégrer le fait que la crise due au Covid-19 est à la fois une pandémie redoutable (problème de santé publique) et une crise économique majeure, qui a inévitablement des implications politiques profondes. Nous n’en sommes pas sortis.

« Si on a vanté la croissance réalisée dans nos pays, c’est très souvent sur la base de faux chiffres et de très mauvaises évaluations pour des objectifs bassement politiciens. »

CÔTE ATLANTIQUE REVIEW : Quelles peuvent être les alternatives à l’exploitation et exportations intensives de nos matières premières minières, forestières et pétrolières lorsqu’on sait qu’il existe des alternatives dans les secteurs des industries culturelles et touristiques, de l’agriculture paysanne et industrielle encore sous-exploitées ?

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Pr. Albert ONDO OSSA : Il ne s’agit pas d’alternatives car, compte tenu de la configuration de notre économie et de la situation financière de notre pays, aucune production ne peut objectivement se substituer à court terme au pétrole pas plus qu’aucune activité ne peut remplacer l’exploitation des matières premières dont le principal avantage est de procurer à l’Etat les ressources budgétaires suffisantes et de maintenir l’emploi à un niveau acceptable. Il s’agit plutôt, à mon sens, d’user de l’exploitation pétrolière et de celle des autres matières premières pour faire connaître à notre économie, à moyen et long terme, une véritable mutation. Elle consiste à la faire passer d’une économie de rente à une économie de production, ce qui suppose une vision, une stratégie, des objectifs ciblés à échéances déterminées et des instruments appropriés, notamment une bonne gouvernance, le tout reposant sur une réelle volonté politique et des autorités compétentes et vertueuses.

CÔTE ATLANTIQUE REVIEW : L’agriculture et l’agro-alimentaire dans un pays importateur de denrées alimentaires.  Quelle solution pour une autosuffisance alimentaire et une réduction drastique des importations ?

Pr. Albert ONDO OSSA : L’autosuffisance alimentaire est un concept qui a souvent été galvaudé et partant mal utilisé surtout dans notre espace. L’autosuffisance alimentaire s’entend comme la capacité ou la possibilité à satisfaire les besoins alimentaires de la totalité de sa population à partir de sa propre production nationale, ce qui revient pour un pays à subvenir aux besoins alimentaires de son peuple par sa seule et propre production.

Or, nous sommes dans un monde en mutation dans lequel on ne peut ni figer les habitudes alimentaires d’une population, ni freiner de manière mécanique les importations. Il s’agit plutôt de former et d’avoir suffisamment de flexibilité pour faire face aux chocs alimentaires (l’ensemble des conséquences provoquées par une brusque hausse du prix des aliments) et suffisamment de capacités de production oisives pour se déployer en fonction de la demande mondiale, d’autant que le Gabon est un petit pays preneur de prix et que sa population est faible.

L’autosuffisance alimentaire est, un concept figé, galvaudé et c’est là sa principale limite.

Il est aussi possible d’exporter des produits agricoles spécifiques dont nos paysans étaient auparavant spécialistes, comme le cacao ou le café, pour compenser financièrement des importations agricoles inévitables. C’est là que devraient intervenir les pouvoirs publics pour créer les conditions administratives d’une dynamisation de la culture de ces produits.

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La configuration actuelle de l’économie gabonaise constitue, à n’en pas douter, un réel handicap pour l’industrie alimentaire, encore appelée « industrie agroalimentaire », qui regroupe l’ensemble des activités industrielles qui transforment des matières premières issues de l’agriculture, de l’élevage ou de la pêche en produits alimentaires destinés essentiellement à la consommation humaine. Or, une industrie devient difficilement rentable dans un marché étroit comme celui du Gabon. On remarquera que plusieurs pays africains se sont engagés à atteindre l’autosuffisance alimentaire au plus vite. Malheureusement, malgré les progrès observés dans la production locale, surtout grâce à l’extension des surfaces rizicoles et l’utilisation des engrais, ils doivent encore continuer à importer massivement.

L’autosuffisance alimentaire est, de mon point de vue, un concept figé et c’est là sa principale limite. Il faut plaider pour des avantages comparatifs et des créneaux porteurs. Le monde est ouvert et, de ce fait, au lieu de vouloir tout produire à des coûts prohibitifs qui ruineraient la production, il faut convenir de produire ce qui est demandé aussi bien à l’intérieur et qu’à l’extérieur selon la configuration du marché. Il faut accepter de prendre chez autrui ce qui coûterait plus cher de produire soi-même. Le plus important est de se focaliser sur les activités rémunératrices et rentables afin de donner un revenu et un pouvoir d’achat à aux populations pour q’elles améliorent leurs conditions de vie.

« A n’en point douter, la croissance n’est viable que si elle permet d’améliorer le bien-être des populations »

CÔTE ATLANTIQUE REVIEW : L’on a excessivement vanté la croissance à un chiffre et surtout à deux chiffres sans un impact réel sur le pouvoir d’achat des populations et l’emploi.  Or pas de croissance sans développement. Qu’en dites-vous en votre qualité d’économiste avéré ?

Pr. Albert ONDO OSSA : La croissance économique désigne la variation positive de la production de biens et de services dans une économie sur une période généralement longue. En pratique, l’indicateur le plus utilisé pour la mesurer est le produit intérieur brut. Si on a vanté la croissance réalisée dans nos pays, c’est très souvent sur la base de faux chiffres et de très mauvaises évaluations pour des objectifs bassement politiciens.

A n’en point douter, la croissance n’est viable que si elle permet d’améliorer le bien-être des populations. Or, dans notre pays, les chiffres affichées sont en désaccord avec le niveau de vie des populations. Avec une économie fondée sur la rente (pétrolière et minière) et sur les revenus du bois, qui ont permis d’élever le pays au rang des pays à revenus moyens, la population reste relativement pauvre. Le Gabon semble confronté au paradoxe socio-économique d’appartenir, de par son PIB par tête, au groupe des Pays à Revenus Intermédiaires (PRI) tout en s’apparentant de par ses indicateurs sociaux au groupe des Pays les moins avancés (PMA). Une enquête de la Banque mondiale publiée en 1997 a révélé que 23 % de la population gabonaise vivait en dessous du seuil de pauvreté extrême (1$ US/jour/habitant). Le Fonds monétaire international (2019), qui parvient au même résultat, affirme : « presqu’un-tiers de la population gabonaise (600.000 personnes sur une population de 1,8 million d’habitants) vit toujours en dessous du seuil de pauvreté (soit avec moins de 580 francs par jour) ».

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La pauvreté est donc grandissante, en partie du fait des mauvaises options prises par le pouvoir et surtout de la mauvaise répartition des fruits de la croissance. De plus, tout pays bien géré s’endette en période de crise et rembourse en période d’expansion. Dans notre pays, on s’endette sans discerner les périodes de crise et d’expansion, en fait sans prendre en compte l’évolution du cycle.

Dans le contexte actuel du Gabon, une croissance économique à un chiffre voire à deux chiffres ne peut pas avoir l’impact souhaité tant sur le pouvoir d’achat que sur l’emploi. L’augmentation du pouvoir d’achat dépend nécessairement de celle du revenu réel, d’une part, et de celle du niveau général des prix, d’autre part.

CÔTE ATLANTIQUE REVIEW : Quelle politique de plein emploi au regard du taux élevé des sans – emplois particulièrement au niveau des jeunes, et la croissance exponentielle de l’informel ?

Pr. Albert ONDO OSSA : Le chômage atteint chez nous un niveau très élevé (40 % chez les jeunes). C’est excessif ! Une politique de l’emploi suppose des investissements productifs opérés essentiellement par les entreprises qui, parce qu’elles rentabilisent leurs activités, offrent de l’emploi. Elle suppose également des infrastructures viables en vue de réduire les coûts de production et permettre la fluidité des ressources. Elle suppose enfin une fiscalité transparente et non contraignante, ainsi que l’absence de toute parafiscalité. Ce qui n’est pas le cas au Gabon.

Le taux élevé du chômage favorise le développement de l’économie informelle

L’Etat gabonais devrait mettre en œuvre des politiques sociales tout en sachant que les difficultés rencontrées par la jeunesse ont un caractère collectif et donc doivent être traitées simultanément au niveau économique et au niveau social. Le gouvernement devrait davantage insister sur leur formation et la promotion de l’entreprenariat privé. Or, le secteur de l’éducation, de la formation et de la recherche est en crise depuis de nombreuses années.

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Pour ce qui est de la promotion de l’entreprenariat, un point essentiel à la création des emplois, consiste à alléger les procédures de création légale d’une entreprise. Elle peut prendre au Gabon plusieurs mois voire des années là où elle se fait en quelques minutes dans les pays développés. Cette situation favorise le développement de l’économie informelle. C’est dire que de véritables réformes sont nécessaires au Gabon en plus de l’amélioration de la gouvernance publique.

L’Aide Publique au Développement contribue à déstructurer le tissu économique

CÔTE ATLANTIQUE REVIEW : Les pays industrialisés européens et américains ont vanté pendant des décennies, le bien-fondé de l’aide publique au développement.  Peut-on développer un pays comme le nôtre, via l’aide publique au développement ?

Pr. Albert ONDO OSSA : L’aide publique au développement correspond à l’ensemble des dons et prêts à des conditions très favorables accordés par les organismes publics (les partenaires au développement). Elle vise à favoriser le développement économique, ainsi qu’à relever le niveau de vie des populations.

Cependant, ma réponse en ce qui concerne notre pays est mitigée, à la fois oui et non. Il faut dire que le recours à l’aide est une nécessité pour les pays en développement qui ne disposent pas de ressources domestiques suffisantes pour financer leur développement. En fait, l’aide n’est pas nuisible en soi, cela dépend de l’affectation et de l’usage qui en est faite. Bien souvent elle donne lieu à un endettement de cavalerie souvent nocif. L’Aide Publique au Développement contribue à déstructurer le tissu économique, puisqu’elle permet un effet d’éviction du secteur privé local induit par le fait qu’il s’agit généralement de dons liés avec de nombreuses conditionnalités.

Lorsqu’on considère la situation actuelle de l’économie gabonaise, il apparaît sans hésitation que l’Aide Publique au Développement ne constitue qu’une solution de second best. Elle a contribué à accentuer les problèmes de gouvernance publique qui ont, eux-mêmes, augmenté la fracture sociale au détriment des couches sociales les plus défavorisées, les véritables bénéficiaires. On en arrive ainsi au dilemme du Samaritain (Buchanan, 1975), selon lequel une institution ou un Etat qui veut aider le Gabon s’interroge sur la pertinence de son action.

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« Les usagers confondent souveraineté et autonomie, souveraineté et indépendance, étant entendu que l’indépendance de la banque centrale et de la politique monétaire n’ont rien à voir avec l’indépendance et la souveraineté politiques. »

CÔTE ATLANTIQUE REVIEW : À quoi sert une banque centrale et une politique monétaire sans souveraineté monétaire ?

Pr. Albert ONDO OSSA : Dans l’architecture du système bancaire d’un pays, la banque centrale se trouve au sommet de la hiérarchie en tant que banque de premier rang. La banque centrale est une Institution publique qui supervise les institutions bancaires (et financières) d’un pays ou d’une zone monétaire. Elle détermine ainsi certains taux d’intérêt clés et, indirectement, la masse monétaire d’un pays ou de la zone. Autant d’activités qui, ensemble, constituent la politique monétaire. La banque centrale est l’autorité monétaire suprême.

Pour ce qui est du deuxième volet de votre question, à savoir s’il peut-il y avoir une politique monétaire sans souveraineté monétaire, je vous dirai qu’elle laisse le champ à plusieurs confusions graves auxquelles se livrent de nombreux usagers (agents économiques). Les usagers confondent souveraineté et autonomie, souveraineté et indépendance, étant entendu que l’indépendance de la banque centrale et de la politique monétaire n’ont rien à voir avec l’indépendance et la souveraineté politiques. Tous ces termes ne sont pas indifférents.

« Quant au fait de créer sa propre monnaie, les gens qui en parlent n’en connaissent pas nécessairement les contraintes »

Être souverain, c’est avoir le pouvoir suprême, au-dessus duquel il n’y en a pas d’autre. Or, dans tous les pays du monde, une telle souveraineté en matière monétaire (qui s’exerce par l’aptitude à battre monnaie, à créer de la monnaie et à fixer ses taux d’intérêt) a été concédée à la Banque centrale aussi bien dans le cadre d’un pays que dans le cadre d’une union monétaire.

L’autonomie de la politique monétaire est, quant à elle, le fait pour une banque centrale de fixer de manière indépendante ses taux d’intérêt. Or, dans le cas d’espèce, seule la FED (la banque centrale des USA) peut le faire.

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Quant au fait de créer sa propre monnaie, les gens qui en parlent n’en connaissent pas nécessairement les contraintes. Il faut préalablement déterminer l’objectif visé. Ce n’est pas parce qu’on a une monnaie propre qu’on est indépendant économiquement et politiquement (grave illusion). De telles confusions font des dégâts importants dans nos économies. Etant donné les trois fonctions reconnues à une monnaie au sein d’une économie (unité de compte, réserve de valeur et intermédiaire des échanges), une monnaie propre à un pays (monnaie nationale) n’est généralement pas capable d’assumer de telles fonctions au-delà de son espace d’émission, que ce soit pour le secteur privé ou pour le secteur public (Krugman, 1991). D’autant plus qu’elle ne pourrait servir de :

  • Devise de règlement dans les transactions mondiales ;
  • Devise de libellé pour les émissions de valeurs mobilières internationales ;
  • Devise de facturation (en particulier pour les ventes et les achats de matières premières) ;
  • Devise de réserve offrant aux banques centrales des possibilités de placements de leurs réserves de change.

Ainsi donc, en dehors du dollar, deux monnaies apparaissent capables de jouer le rôle de monnaie internationale : l’euro, d’une part, et le yuan, d’autre part. Dans l’espace international actuel, les autorités monétaires d’un pays sont, sur le plan international, souvent utilisatrices des monnaies qu’elles ne peuvent pas créer.

L’indépendance de la banque est un concept bien précis où l’on distingue l’indépendance des instruments (le fait d’avoir toute latitude à choisir les instruments à mettre en œuvre) et l’indépendance des objectifs (le fait de pouvoir fixer de manière autonome les objectifs de la politique monétaire). Ce faisant, le rôle de la banque centrale a été redéfini à la suite de la crise financière de 2008, car la bonne maîtrise du cycle financier qui s’impose désormais suppose non seulement une juste articulation des politiques monétaire et macroprudentielle, mais aussi la transformation de la finance en vue d’une meilleure prise en compte des différents risques.

Dans le cas du Gabon, la souveraineté monétaire est déléguée à la banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) à l’instar des autres pays membres de la CEMAC. Son rôle est d’autant plus important aujourd’hui qu’elle devrait davantage intégrer les hétérogénéités qui caractérisent la zone CEMAC, en modulant par exemple le niveau de la cible selon les pays et en pratiquant une politique plus ou moins accommodante, selon les cas, pour soulager la misère des populations.

CÔTE ATLANTIQUE REVIEW : Que vous inspirent la crypto-monnaie et le panier des devises pour une économie comme la nôtre et dans le cadre des échanges régionales et internationales ?

Pr. Albert ONDO OSSA : Là encore on s’avance sur des terrains glissants. La cryptomonnaie est « une monnaie » virtuelle cryptographique dont l’émission est décentralisée, à la différence des monnaies étatiques contrôlées par une banque centrale.

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Le principal intérêt des cryptomonnaies est de limiter la création monétaire, dans un contexte où les banques centrales n’acceptent plus de faire fonctionner la « planche à billets ». Les cryptomonnaies sont surtout utiles dans les pays dont la monnaie est « fondante », le coût d’un transfert international de fonds étant nettement moins élevé qu’avec une carte de crédit ou par l’intermédiaire d’un prestataire. Leur plus grand inconvénient est de faciliter la spéculation, le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. Enfin, leur volatilité est nettement plus forte que celle des devises émergentes. S’y ajoute leur forte sensibilité à la montée des risques politiques.

CÔTE ATLANTIQUE REVIEW : L’intégration économique sous-régionale CEMAC-CEEAC est en panne.  Qu’en dites-vous ?

Pr. Albert ONDO OSSA : En panne ? pas du tout, c’est un processus lent et long qui dépend de la configuration de nos économies. Les pays membres de la sous-région CEMAC-CEEAC sont caractérisés par leur forte dépendance aux matières premières en plus du fait qu’ils sont tous preneurs des prix internationaux. Leur faible intégration économique découle de la faiblesse de leur commerce intra zone. Ces pays, bien qu’hétérogènes, devrait opter pour une intégration économique par le marché qui est différente de l’intégration institutionnelle, afin d’éviter la désagrégation des union monétaire et économiques de la sous-région. Les autorités politiques devraient réduire leurs égos et lever toutes entraves à la mobilité des personnes et des biens.

CÔTE ATLANTIQUE REVIEW : Vous avez été pendant longtemps ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche mais l’on constate que le secteur de la Recherche scientifique est aussi en panne. Comment en est-on arrivé à cette situation d’absence de la recherche scientifique ? Quelle solution pour booster la Recherche scientifique ?

Pr. Albert ONDO OSSA : Vous parlez bien d’un constat ! Or, le constat ne fait pas partie de la démarche scientifique. La première étape d’une démarche scientifique est l’observation et non le constat. Comment peut-on constater que la recherche est en panne si les résultats de la recherche ne passent pas des créneaux particuliers, pas forcément accessible au grand public. Disons que la recherche et ses résultats ne sont pas suffisamment exploités par les pouvoirs publics qui n’y voient, avouons-le, aucun intérêt. Disons qu’on distingue par ailleurs la recherche fondamentale de la recherche appliquée.

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Or l’Université entreprend les deux formes de recherche et on reconnait que la recherche développement est un facteur de croissance et de la croissance endogène. C’est dire que le grand problème est la non prise en compte et la non exploitation des résultats de la recherche, parce que  les « Policy maker » se passent bien souvent des avis techniques (surtout s’ils sont le fait des Nationaux) et préfèrent s’entourer d’incompétents et des apprentis sorciers.

Il faut également reconnaître que les crédits consacrés à la recherche sont modiques et ne permettent un déploiement plausible et conséquent de la recherche (appliquée et encore moins fondamentale) dans notre pays. Si déjà les budgets octroyés et surtout leur mode de gestion ne permettent pas un fonctionnement normal de nos institutions d’enseignement supérieur, a fortiori ceux attribués à la recherche. C‘est désolant !

«La jeunesse gabonaise est totalement désemparée parce que sans travail ni repère »

CÔTE ATLANTIQUE REVIEW : Quel est votre mot de fin et message à la jeunesse gabonaise

Pr. Albert ONDO OSSA : Ainsi que je l’ai dit dans une conférence de presse (avril 2022), la jeunesse gabonaise est totalement désemparée parce que sans travail ni repère. Il s’agit d’une jeunesse à propos de laquelle je constate, comme tout le monde, que le recours ces dernières années à la drogue et à d’autres pratiques perverses traduit le désarroi, la panique et même la fureur.

En se saoulant chaque jour davantage d’alcool, en recourant à la drogue, à la pornographie ou aux pratiques obscènes, j’ai la faiblesse de croire que ce n’est pas l’ennui seul que cette jeunesse essaie de fuir mais bien plutôt le désespoir ou la hantise de vivre face à un avenir sans perspective.

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Au regard de la situation difficile qu’elle traverse, notamment la dégradation des mœurs, le système d’éducation qui ne répond plus aux normes, le manque de formation véritable débouchant sur des emplois durables, le chômage ambiant et la précarisation des familles, notre jeunesse est désemparée et, faute de moyens ou de solutions appropriées à ses problèmes, elle se résigne, s’adonne au plus facile et, inévitablement, aux plaisirs qui tuent.

Je lui demande de garder malgré tout espoir. Certes, l’école n’est plus une priorité aujourd’hui, ce qui explique toutes les difficultés qu’éprouve notre pays à évoluer et à se transformer. Or, un pays ne peut se transformer sans masse critique, sans cadres compétents et sérieux. De plus, toutes les voies d’expression et/ou de promotion par le travail sont obstruées pour ne laisser entrevoir qu’une seule : celle de la politique politicienne, de la gabegie, du détournement de fonds publics, de l’enrichissement illicite, du trafic d’influence, du paraître et, in fine, celle de l’avoir.

Par Dr Neltoh

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