CEMAC-CEEAC

La CEMAC engluée dans des perpétuels scandales : Quelles perspectives ?

Le principal objectif de la CEMAC est la création d’un espace intégré se traduisant entres autres par une libre circulation des biens et des services et des capitaux et des personnes. Or, à ce jour, cette perspective n’est pas atteinte et la CEMAC ne constitue pas totalement, au sens économique du terme une zone de libre- échange, ni une union douanière complète, moins encore un marché commun, conformément aux étapes de la théorie de l’intégration économique régionale (Balassa, 1961), reprise par (Suarez, 2008 ; 2009).

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Siège de la Cemac à Bangui, le 25 novembre 2017.

Pour revenir à notre sujet, il faut noter que depuis plus d’une quinzaine d’années, la CEMAC fait face à plusieurs scandales de divers ordres, de nature à laisser pantois les résidents de cet espace couvrant une superficie de 3 020 372 de km2 pour une population de plus de 60 millions d’habitants. Sans faire une liste exhaustive, quelques cas saillants peuvent étayer cet état des faits : Entre 2004 et 2008, trente (30) millions d’euros soit 19 milliards de F CFA au moins ont été détournés au bureau extérieur de Paris de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC).

En Fin 2008, en pleine tourmente financière internationale provoquée par les Subprimes, la BEAC avait perdu vingt-cinq (25) millions d’euros soit 16,4 milliards de F CFA à la suite d’un placement hasardeux effectué auprès de la Société Générale en France. En 2008, la Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale (BDEAC) s’est retrouvée impliquée dans le scandale Madoff après avoir investi son excédent de trésorerie dans Primeo, sanctionnée par une perte de 11 milliards de F CFA.

En 2012, le journal « Jeune Afrique dans sa livraison N°2673 du 1er au 7 avril 2012 », écrivait que le Président de la CEMAC et son équipe à cette époque, lors de la fin du mandat, avaient bénéficié de trente mois de salaire pour le président de la Commission, vingt mois pour le vice-président, quinze mois pour les commissaires, le tout au titre d’« indemnités pour services rendus », auxquelles s’ajoutent des gratifications annuelles (deux mois de salaire par année de présence), une indemnité de préavis (six mois de salaire) et une prime spéciale équivalente à deux à quatre mois de salaire.

Graves irrégularités de plusieurs milliards de FCFA

En 2023, la publication des résultats des candidats au concours de recrutement relatif aux cadres supérieurs à la BEAC, est sujet à des controverses. Cette publication a été suspendue par le Comité ministériel de l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC). En 2023, de graves irrégularités de l’ordre de plusieurs milliards de FCFA ont été constatées.

Elles sont reparties en dépenses (caisses d’avances excessives moins justifiées par rapport à la réglementation financière, des véhicules réformés et acquis très en dessous de la valeur réelle, le favoritisme à l’égard des proches, tant dans le domaine du recrutement que des indemnités ou traitements alloués aux proches et surtout aux responsables financiers chargés de contrôler ou de vérifier la conformité et la régularité tant sur le plan financier qu’administratif de la Communauté, etc.

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« Les missions assignées à la CEMAC depuis sa création ne sont que très partiellement remplies »

Aussi, sans citer toutes les contraintes ou entraves au fonctionnement de la Communauté relevées par plusieurs auteurs économistes ou autres (Loungou, 2010 ; Ngattai-lam, 2014 ; Avom, 2022 ; Zomo, 2022), il faut noter que les missions assignées à la CEMAC depuis sa création ne sont que très partiellement remplies. L’analyse de quelques – unes de ces missions peut éclairer sur l’état des lieux de cette Communauté. D’abord, la libre circulation des personnes et des biens, actée depuis 1972 par l’UDEAC, et reprise dans la convention de l’Union Economique de l’Afrique Centrale de 2009, n’a été « effective » qu’en 2017.

« Pourrions vraiment parler de la libre circulation ? Et même avec cette bribe d’exemption, certains pays de la Communauté sont allergiques et réticents entravant l’entrée des ressortissants cemaciens dans leurs pays. »

Cette effectivité ne se résume qu’à l’exemption de visa d’entrée pour tout séjour inférieur à trois mois des ressortissants de la zone CEMAC (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad). Pourrions vraiment parler de la libre circulation ? Et même avec cette bribe d’exemption, certains pays de la Communauté sont allergiques et réticents entravant l’entrée des ressortissants cemaciens dans leurs pays.

Bref, comme disait Loungou, le problème de la libre circulation relève des égoïsmes nationaux des Etats membres caractérisés par le mythe de la perversion sociale et de la délinquance d’origine étrangère et le mythe de la spoliation économique, deux (2) facteurs qui ne sont que des pûrs préjugés. Alors que des pays de notre continent tels que la Gambie, le Bénin et les Seychelles ont actuellement supprimé les visas pour tout ressortissant africain ; et suivront le Rwanda et le Kenya en 2024.

« Les échanges intra-communautaires officiels en Afrique centrale demeurent les plus faibles de toutes les Communautés Economiques Régionales (CER) du continent. Ils ne représentent que 3% des échanges commerciaux intra-CEMAC. »

Ensuite, on constate la faiblesse des échanges commerciaux en zone CEMAC, une des conséquences logiques de la libre circulation en demi-teinte. En effet, les échanges intra-communautaires officiels en Afrique centrale demeurent les plus faibles de toutes les Communautés Economiques Régionales (CER) du continent. Ils ne représentent que 3% des échanges commerciaux intra-CEMAC. En comparant cette performance à celles des autres groupements commerciaux africains sur la même période, il apparaît qu’elle est la plus faible de toutes les CER africaines.

« Trois décennies après sa création, l’espace communautaire peine à réussir son processus d’intégration, à accroître le taux d’échanges commerciaux et à assurer la libre circulation des personnes et des biens. »

À titre d’illustration, selon les sources de la BAD et du CNUCED, analysées (Ngattai-lam, 2014), la moyenne au cours de dix (10) années des exportations intra-zones par rapport aux exportations totales est de 6,25 % pour le COMESA, 10,5 % pour la CEDEAO, 13,03 % pour la SADC et 14,05 % pour l’UEMOA, avec généralement des trends croissants. Or, près de trois décennies après sa création, l’espace communautaire peine à réussir son processus d’intégration, à accroître le taux d’échanges commerciaux et à assurer la libre circulation des personnes et des biens.

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Enfin, plusieurs contraintes limitent le bon fonctionnement de la CEMAC, notamment les principes de supranationalité de coordination et de subsidiarité qui sont difficilement respectés auxquels il faut ajouter l’inadaptation des textes juridiques, le pouvoir réel des organes de suivi, de contrôle, de l’évaluation des programmes et politiques, etc, sans oublier les conflits de compétence et de leadership, qui sont perceptibles à travers la Communauté. La CEMAC apparaissant ainsi comme l’une des sous-régions les moins intégrées au monde.

Ces situations récurrentes portent atteinte et préjudice indubitablement et gravement à l’image de la Communauté. Car, cette kyrielle des malversations répétitives de la EMAC, une organisation créée aux fins utiles pour la sous-région suscite quelques questionnements. Comment se manifestent ces disfonctionnements et ces malversations observés dans la Communauté sous- régionale ? Comment ces dérives peuvent- elles être récurrentes de nature à porter gravement préjudice à la CEMAC ? Comment éviter cet état des choses dans cette Communauté ? Etc. La réponse à tous ces questionnements résulte d’un faisceau des facteurs déterminants apparents voire imaginaires ou fictifs des comportements tous azimuts notamment des différents responsables chargés de la gestion et des peuples appartenant à cette même Communauté.

Impératif réexamen et relecture du programme économique de la CEMAC

Au regard de ce qui précède, d’autres questions méritent d’être posées : Des réformes de la Communauté (y inclues toutes les institutions affiliées) ne sont –elles pas d’une nécessité absolue. En d’autres termes le réexamen et la relecture du programme économique de la CEMAC tant du point de vue de fonds que de la forme, ne s’imposent-ils pas ?

Les nouveaux dirigeants doivent engager, une série de chantiers au cours des cinq prochaines années au sein de la Communauté. En effet, il faut saluer le caractère téméraire de l’Équatoguinéen Baltasar Engonga Edjo’o, actuel président de la CEMAC, qui a osé diligenter un audit ignoré (à tort, à raison ou de manière délibérée pendant des décennies), mettant en lumière des anomalies caractérisées par les gabegies de tous ordres au sein de la Communauté.

« Initier des procédures disciplinaires et pénales aux coupables, et réformer en profondeur le fonctionnement de la Communauté »

Il faut également saluer le mérite des Ministres de l’Économie de la zone chargés de la Communauté qui ont donné tout pouvoir au Président de la CEMAC, pour initier des procédures disciplinaires et pénales aux coupables d’une part, et de réformer en profondeur le fonctionnement de la Communauté d’autre part. Nous osons espérer également qu’avec l’aide du Président de la République Centrafricaine, actuel Président du Conseil des Chefs d’Etats de la CEMAC, le siège de la CEMAC se réinstallera totalement et définitivement à Bangui en République Centrafricaine, car, aucune raison ne justifie actuellement cette délocalisation.

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Dans cette perspective, il faut espérer, pour l’actuel Président, que de la même manière que sa témérité l’a conduit à mettre à nue les malversations au sein de la Communauté à partir de l’audit, malgré toutes les diversions et les contrecoups à son égard de tous bords, qu’il mène des réformes sincères, franches et utiles pour que la Communauté redore un peu sa notoriété sur la scène internationale.

Ces réformes doivent tenir compte des problèmes récurrents parmi lesquels l’effectivité de la libre circulation, pour laquelle, le Président, lui-même, est bien placé pour la comprendre et la mener à terme. A cela, il faut penser à la suppression des postes comme ceux des contrôleurs financiers qui ne constituent que des dépenses et charges lourdes inutiles ; car, si les contrôles étaient efficaces, il n’y aura pas des disfonctionnements et des malversations au sein de la Communauté.

Ces contrôles pourraient être effectués de manière improvisée pour chaque institution de la CEMAC par des cabinets d’audit appropriés. Les constats qui en découleront, on le pense, feront de telle sorte que les responsables de la CEMAC prennent conscience aux bonnes mœurs de la gestion du patrimoine communautaire souvent spolié à la fin des mandats des responsables.

« Mettre en place un observatoire chargé d’évaluer, de veiller aux différentes réformes institutionnelles et structurelles nécessaires »

Deux faits attirent également notre attention concernant les réformes : premièrement, on pourrait aussi penser à la mise en place d’un observatoire chargé d’évaluer, de veiller aux différentes réformes institutionnelles et structurelles nécessaires, ainsi qu’aux éventuelles révisions des programmes économiques conformes aux textes et statuts de la CEMAC et ses différentes institutions affiliées. Deuxièmement, il faut réfléchir sur la durée du mandat. Car, si la rotation des chefs des institutions de la CEMAC est une chose louable, le mandat de cinq (5) ans parait très juste pour mettre en place certains projets et réformes de manière adéquate. Il faut en rajouter deux (2) ou trois (3) ans, quitte à mettre des clauses et des garde-fous pour sanctionner les responsables véreux au cours de leurs mandats.

Pour cela, des défis sont donc à relever et le Président de la CEMAC, doit associer à sa témérité des tacts susceptibles d’influencer le niveau d’engagement des Etats membres de la CEMAC par rapport au respect de la volonté politique commune et de la capacité à résorber les inerties structurelles ;

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ces tacts doivent s’élargir pour sensibiliser au dépassement des comportements néfastes et des égoïsmes nationaux au profit des attitudes responsables et intégrateurs des peuples de la CEMAC. La table ronde tenue à Paris les 28 et 29 novembre 2023 nous font croire qu’avec la rapidité à laquelle les nouveaux dirigeants de la CEMAC prennent les choses en main nous donnent un brin d’espoir et nous ne pouvons que leur souhaiter bonne chance. Et wait and See. !!!!

Par Dr GATTAI-LAM Merdan, Economiste

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